Scène libre : le féminisme s’exprime en arabe !

Scène libre : le féminisme s’exprime en arabe !

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C’est la première fois que Tunis scène libre se lance dans la jungle des festivals culturels tunisiens. Son point fort : la diversité des disciplines, puisqu’on trouve l’écriture, la musique, le cinéma, le slam… Hier, nous sommes allés tâter le pouls de cette manifestation discrète, mais dense.  

 

Il serait déplacé d’émettre une critique négative face à un projet comme scène libre, pour la simple raison qu’il est né d’une volonté saine et sans prétention, comme l’ambition qu’on a quand on est enfant et qu’on veut faire un beau dessin. Les fondateurs savent pertinemment qu’ils ne feront pas fortune, qu’ils ne seront pas la révélation du moment, ni même qu’on entendra parler d’eux, ils ont sûrement une gêne en voyant une salle où très peu de chaises sont occupées, gênés de ne pas en mettre plein les yeux, mais ils ont cette qualité que les initiatives honnêtes ont en commun : elles bâtissent.

 

Nous avons assisté à Notre Dame des mots, la compétition littérature exclusivement féminine du festival. Une dizaine de candidates lisent des textes en français, en arabe ou en dialecte tunisien. 

C’est dans la salle d’El Teatro qu’on s’est donc retrouvé assis à attendre la première jeune femme, celle qui va ouvrir le bal des mots. Le premier texte : « j’écris », est une longue tirade sur les raisons qui la poussent à écrire. Les écrivains d’un jour défilent sur la scène, la voix un peu fébrile, la feuille qui cède aux tremblements des mains. Certaines se distinguent, celles qui écrivent en arabe, elles parlent de leurs conditions de femme, du mariage, du patriarcat, de la société, contrairement aux textes en français qui sont plus existentiels.

 

Un texte en particulier, en dialecte tunisien, était émouvant. Une femme voilée le porte à bout de bras, le projecteur est sur elle, des feuilles imbibées de ses maux. Elle exorcise sa douleur à la vue de tous. L’histoire d’un mariage qui l’a étouffée, la patience comme seule arme, la famille qui ferme les yeux, et ses yeux qui se cachent pour pleurer. On ne peut s’empêcher d’imaginer le parcours de cette femme, du moment où elle s’est vue prise au piège jusqu’à cet instant où elle en parle sur scène devant des inconnus. Son fils est décrit comme un témoin, le temps comme un sacrifice, la jeunesse enterrée sous les sables mouvants de la société patriarcale comme sa plus grande douleur. 

 

La prise de parole de cette jeune femme est un pas de géant qui brise l’omerta qui existe dans la classe moyenne conservatrice, des femmes qui dénoncent la solitude, des mères de famille qui se voient emprisonnées dans le piège de la cellule familiale. 

 

Un autre texte, un profile différent, en arabe, la jeune fille porte des lunettes, un jean déchiré, elle crie son texte, elle est la colère, elle est la jeunesse, elle est un lendemain qui chante la liberté des femmes. C’est en levant les bras qu’elle dénonce sa condition. 

 

C’est définitivement en arabe que le féminisme s’est exprimé à Notre dame des mots, la prise de parole fut vive et transcendante. Rien que pour cela, Scène Libre est un pari réussi.